Sinniel Heklev [Terminé]

- Tu es vraiment curieuse Sinn'...

La jeune femme ne prit pas la peine de relever, rangeant déjà ses affaires afin de partir. Elle avait fini par s'y faire. Par comprendre qu'elle ne pourrait jamais paraître "normale" malgré ses efforts pour se dissimuler dans la foule des étudiants. D'un geste tranquille, elle saisit son manteau bleu ciel et le passa sur ses épaules. Deux secondes plus tard, elle se trouvait dans le couloir, pressée de rentrer dans sa chambre.

La musique ne tarda pas à envahir ses oreilles, rendant ses pas plus fluides, plus légers. Elle qui aimait tant la musique se laissait totalement envahir par les notes qui tournaient au creux de ses écouteurs. Ses lèvres s'ouvrirent, relâchant sa voix douce et timide. Elle ne fit pas attention aux regards que certains passants lui lançaient, et continua sa route. Elle était connue pour être la rêveuse, la timide, la fille étrange qui se plaignait sans cesse d'avoir un jukebox imaginaire branché en continu dans sa tête, l'étudiante qui avait bien trop souvent des absences inquiétantes et muettes. Un rire s'échappa de sa gorge alors qu'elle pressait le pas. Rares étaient ceux qui voyaient au-delà de cette apparence. Rares étaient ceux qui connaissaient la folie douce qui vibrait derrière les iris verts, et qui lui permettait de se plonger dans des mondes imaginaires dont elle seule avait la clef. Son goût pour la mythologie, la fiction, les séries, les mangas, la poussait parfois à avoir des discussions enflammées pour peu qu'elle trouve une personne avec qui en parler. Dans ces moments là, elle semblait s'ouvrir et rayonner, emplie d'une joie et d'une énergie qui vibraient dans chacun de ses mots, chacun de ses regards. La passion qui s'emparait d'elle n'avait d'égal que la concentration qui l'investissait lorsqu'elle se mettait à écrire ou à dessiner.

Elle s'arrêta devant la porte de sa chambre, la main sur la poignée, un sourire fragile aux lèvres. Oui, ils étaient peu ceux qui pouvaient se vanter de connaître cette facette de sa personne... Mais plus rare encore étaient ceux qui voyaient ce qui tremblait au fond de sa gorge et qui noyait ses iris. Elle tourna la clef dans la serrure, s'engouffrant dans la pièce. Ses mains tremblèrent. Un froid insidieux se répandit dans ses membres.

Elle jeta son sac dans un coin, s'empressa de prendre une barre de chocolat noir pâtissier. La marque qu'elle préférait. Le goût de la barre ne fut cependant pas suffisant pour empêcher la boule coincée au fond de ses cordes vocales de grandir. Elle s'assit sur une chaise, ferma les yeux, tenta de calmer sa respiration. Elle ne voulait pas avoir une nouvelle crise. Non, elle ne le voulait pas...

Elle ne put pas empêcher ses larmes de couler. Brûlantes. Acides. Le vide qui pressait sa poitrine se fit plus fort encore alors qu'elle se ployait sur la chaise. Un faible gémissement déchira ses lèvres gercées. Elle se sentait inutile. Idiote. Incapable. Chaque jour qui passait semblait la laisser plus fragile et amère que la veille, et ce depuis plusieurs semaines. Le manque de sa famille n'aidait d'ailleurs pas. Elle voulait les voir, elle avait désespérément besoin de l'étreinte des bras de sa mère pour chasser cette étrange mélancolie qui lui bouffait les veines. Malheureusement, elle ne pouvait pas. Elle se trouvait bien trop loin d'eux pour ce faire, et même, que diraient-ils en la voyant dans un tel état ? Elle était censée être forte, elle était l'aînée, elle ne pouvait PAS craquer ainsi !

Sauf que c'était plus fort qu'elle. Elle avait désespérément besoin d'affection, mais elle n'arrivait pas réellement à se lier avec les autres, alors leur demander une étreinte... Ses sanglots redoublèrent, puisant dans les maigres forces de la jeune femme dont les nerfs semblaient sur le point de se briser. Elle s'obligea à se reprendre, sans grand succès. Après tout, qui viendrait s'inquiéter de son sort ? Pas grand monde, et même si quelqu'un frappait pour savoir si ça allait, elle n'aurait qu'à inventer un mensonge afin de maintenir l'illusion comme quoi elle allait bien. Comme elle le faisait depuis environ deux mois.

Restait à espérer que cela suffira... Et que personne n'arrivera à voir au-delà du masque...

Il fallut quelques minutes avant que quelqu'un ne frappe à la porte, l'obligeant à se relever de la chaise où elle se trouvait prostrée depuis le début de sa crise de larmes. Vacillante, elle se leva, jetant un regard au miroir qui lui faisait face dans le couloir.

Elle grimaça. Ses yeux étaient bouffis, rougis par les larmes qui coulaient encore sur ses joues, ses iris, d'habitude si verts, étaient noyés par ses pleurs et rendus grisâtres par l'état de ses nerfs. Ses joues pâles se trouvaient striées de traces brûlantes. Les cernes sous ses yeux semblaient plus visibles que tantôt et tranchaient d'autant plus avec ses traits fins.

D'un geste rapide, elle essuya son visage, enleva les dernières gouttes salées qui glissaient sur sa peau, frotta ses joues pour leur redonner un peu de couleur et lui donner un air moins maladif. Elle se força à sourire à son reflet, étirant ses lèvres rosées en une courbe presque naturelle qui pouvait donner le change. Les doigts fins de sa main gauche s'enroulèrent autour du grelot en argent qui ne quittait pas la chaîne pendue à son cou. Le tintement du bijou l'aida à se concentrer. Elle prit une profonde inspiration. Et ouvrit la porte.

Son mètre soixante sept se retrouva ainsi face aux deux mètre de son voisin immédiat. Instinctivement, elle fléchit le dos, un sourire timide aux lèvres. Avec sa marinière blanche et grise, son jean sombre, ses chaussures rouges,
ses yeux bouffis et sa posture peu assurée, elle ne devait pas envoyer un tableau très flatteur de sa personne. Déjà qu'elle avait un corps généreux, bien loin des canons de beauté filiformes, en plus fallait-il qu'elle ait des cheveux coupés courts et des goûts vestimentaires qui la mettait assez peu en valeur, surtout en hiver. En même temps, elle demandait à ses vêtements à être chauds à cette période, pas à l'aider à se mettre en avant...

La discussion ne dura pas, son mensonge suffisant pour rassurer l'étudiant face à elle. Instinctivement, elle avait saisit son coude droit, y frottant la cicatrice fraîche d'à peine un an. Ce ne fut qu'une fois le battant refermé qu'elle s'autorisa à pousser un soupir de soulagement, le front posé contre le bois.

Lentement, elle se détacha de la porte et jeta un coup d’œil à son sac avant de se détourner. Inutile qu'elle tente de faire quoi que ce soit de scolaire en cet instant. Elle n'en aurait pas la force.

La brunette se dirigea donc sur la pointe des pieds vers son lit, et s'affala sans aucune grâce sur la seule couette posée sur le matelas. Elle enleva ses chaussure mécaniquement alors qu'elle attrapait l'ordinateur portable posé de l'autre côté du lit, notant à peine le tracé bleu de ses veines sur sa peau bien trop pâle. Au diable le reste, elle avait besoin de se changer les idées. Ici. Maintenant.

Et tant pis pour ses cernes... Au moins, peut-être qu'après cela ses insomnies la laisseront faire une nuit entière...

L'étudiante commença par faire un tour sur son facebook. Elle n'y allait plus qu'en coup de vent depuis plusieurs mois, voire années, ce qui faisait qu'elle n'y postait rien depuis un moment. Un simple coup d'oeil lui permit d'avoir des nouvelles de ses cousins et cousines éparpillés au quatre coins du monde, ainsi que de ses oncles et tantes. Sa soeur ne s'était pas connectée depuis trois jours, ne lui laissant donc aucune information sur leur situation, et ce même si aux dernières nouvelles tout allait parfaitement bien.

Sinniel regarda son téléphone, hésitant à appeler. Elle n'avait aucune envie de les déranger, quand bien même elle savait qu'elle pouvait compter sur eux à toute heure de la journée. Et puis... Elle était l'aîné ? Elle devait se montrer capable de survivre à deux semaines de plus sans nouvelles de leur part tout de même !

Sauf qu'elle ne savait pas réellement si elle en était vraiment capable. Sa famille et elle étaient si proches, et ces derniers jours avaient été si vides... Elle avait besoin de les entendre, besoin de se rassurer au vu du contexte pour le moins troublé qui agitaient monstres et humains. Elle voulait savoir s'ils allaient bien, tout simplement...

La boule coincée dans sa gorge menaça de refaire surface, l'obligeant à aller rapidement sur Youtube afin de se changer les idées. Des vidéos lui furent proposées, dont une sur laquelle elle reconnu une ancienne camarade de primaire. Elle fronça les sourcils. Elle ne se souvenait plus réellement de son enfance et de son adolescence. C'était à cette période qu'elle avait commencé à se renfermer sur elle-même. À fuir les autres. À manquer les cours. Instinctivement, elle vint frotter la cicatrice qui lui barrait le coude droit. Oui, peut-être était-ce mieux qu'elle oublie cette période. Si elle avait oublié ces souvenirs, c'était sans doute pour une bonne raison...

Son choix se porta sur une vidéo musicale. Elle ferma les yeux, commençant déjà à battre la mesure. Les paroles s'échappèrent de ses lèvres, tristes et douce. Son esprit volait déjà sur les mots, esquissant des scènes où elle pouvait manier des personnages à son gré. Elle rouvrit les paupières et se saisit de son carnet. Son stylo s'empressa de poser des guirlandes de lettres bleues, lettres qui se faisaient de plus en plus petites au fil du temps. Même en entrant à l'académie, elle n'avait pas cessé ce hobby, ce besoin qu'elle avait d'écrire encore et encore. Peut-être qu'un jour elle pourrait en vivre, mais pour le moment, elle se contentait d'atteindre la fin de ses études, ses grands yeux verts perdus dans des visions et des mondes connus d'elle seule. Des mondes où elle revoyait une tante partie trop tôt et un ami disparu depuis bien trop longtemps.

Elle s'arrêta d'écrire lorsque l'épuisement finit par l'envoyer dormir. Elle ne possédait rien d'autre qu'une vie banale et douce. Et elle ne voulait pas la perdre.

Sinniel dessine beaucoup, bien que de manière moins constante que l'écriture, et il n'est pas rare que le bout de ses doigts soit couvert de pigments bleus lorsqu'elle entre dans une de ses période de dessin. Elle aime particulièrement jouer avec les couleurs et les figures géométriques, raison pour laquelle elle garde toujours un compas dans sa trousse alors qu'elle suit des études de lettres.
La jeune femme est sujette à des absences assez fréquentes dont il est difficile de la tirer, même en claquant des doigts devant elle. Ces absences peuvent surgir à n'importe quel moment, n'importe où.
Un tic récurent est qu'elle se frotte machinalement la cicatrice de son coude lorsqu'elle est gênée ou ailleurs.
Ses yeux changent en fonction du temps qu'il fait, s'assombrissant ou s'éclaircissant.