suite On n'est jamais tout à fait seul (ft Sharan)

"Je m'appelle Sharan..." murmura-t-elle dans un souffle. "Sharan Fragon. Mon père a été tué lors du Coup d'Etat d'Elthyse avec une poignée d'autres innocents. Il a été brûlé vif sur la place de la capitale et ma mère..."

Sa voix s'était emballée et, tout d'un coup retomba brusquement. Tout était parti si vite, comme des pensées volatiles et furieuses qui se seraient brusquement échappées de son cœur endolori. Elle n'avait jamais parlé à personne du sort qui avait été réservé à son père... Pourquoi avoir tout craché, là comme ça... d'un coup.

Un irrémédiable sanglot déchira la gorge de l'hybride qui combattit en vain les larmes qui venaient lui brûler les yeux.

Elle se revoyait marcher dans les rues vides et endeuillées de la Capitale, la lourde dépouille carbonisée de son père serré contre sa poitrine. Ses traits au paravent si doux et protecteurs, son sourire apaisant et paternel, avaient quitté son visage défiguré. Il avait expiré dans une horrible expression de détresse et de torture.

Cela avait brisé le cœur de Sharan et, depuis, elle n'avait jamais encore réussi à panser cette plaie si profonde, si douloureuse...

Elle fondit soudain en larmes, là, dans la chaleureuse maison de cette femme qu'elle connaissait à peine mais à qui elle venait pourtant d'exposer sa plus grande blessure. L'image de Toriel, se retournant au cœur des Ruines pour poser une main apaisante sur la joue de la jeune fille réapparu dans son esprit et les pleurs de Sharan redoublèrent.

Ses sanglots accélérèrent sans qu'elle ne puisse plus lutter. Sa respiration se fit saccadée et irrégulière. Elle paniquait, sombrait dans ses souvenirs, ses craintes, ses peurs, ses chimères. Tout s'accélérait dans sa tête. La douleur resurgissait, encore et toujours plus forte. Elle avait envie de crier, d'hurler son malheur et ses déchirures, de tout détruire autour d'elle, qu'il ne reste plus que les cendres de ce monde cruel qui lui avait tout pris, tout enlevé...

Juste pour l'attirance du pouvoir.

Mais, au travers des larmes et du chagrin, Sharan parvint à entrevoir le regard protecteur et affligé de la femme.

Un légère impulsion de voix s'extirpa alors des lèvres de la jeune fille. Sharan se recroquevilla encore un peu plus sur elle-même, répétant à voix basse ces quelques mots entrecoupés de pleurs, cet appel désespéré et douloureux:

"Maman..."

Oui, elle était là...

Et quelque part, cela suffisait. Cela suffisait à aider Sharan à ravaler ses larmes, à reprendre sa respiration, et à repousser ses plus profonds démons dans les méandres de son âme. Jusqu'à quand ? Elle ne voulait pas se poser cette question.

Elle s'en voulait soudain. Non pas d'avoir pleuré, mais d'avoir appelé si désespérément sa mère. Maman... Qu'est-ce que Toriel avait pensé d'elle ? Quelle image donnait-elle ? Une gamine en profond manque d'affection ne sachant même pas mesurer ses paroles sous le coup de l'émotion... Seulement, Sharan retrouva en les yeux de la femme monstre un instinct protecteur et attentif qui lui fit oublier ses paroles déplacées.

Lorsque Toriel l'avait prise dans ses bras pour la consoler de ses chimères, l'hybride avait perçu une profonde blessure chez cette protectrice. Une plaie béante semblable à la sienne: vive et douloureuse... à fleur de peau.

Sharan resta assise sur sa chaise, le regard légèrement bas, le dos courbé. Elle ressentait les yeux doux de Toriel posés sur elle.

"Vous avez perdu quelqu'un vous aussi ?" chuchota-t-elle. "A cause d'Elthyse, des Génocidaires de... de tout ça ?"

Est-ce que Toriel avait essayé de lui cacher sa peine pour mieux apaiser la sienne ? Peut-être... Mais Sharan avait perçu ce léger frisson, ce léger sanglot étouffé mais bel et bien présent.

Une histoire, une vieille histoire revint alors dans l'esprit de Sharan. Un ancien récit que lui racontait son père quand elle était encore jeune et qu'elle errait innocemment dans les rues de la capitale.

Sharan ravala longuement sa salive et pesa ses mots. Sa dernière question avait déjà été indiscrète et celle-ci le serait même encore plus... Peut-être ne devrait-elle pas... Mais ces paroles lui brûlaient tellement la langue qu'elle ouvrit la bouche.

"C-C'est vous qui... qui avez... qui avez sauvé Frisk ?"

Chacun connaissait l'histoire de Frisk et son long voyage qui l'avait menée à, finalement, libérer tous les monstres de leur prison. Mais... tous ces faits, toutes ces histoires... s'apparentaient à des légendes dans l'esprit de beaucoup maintenant que Frisk avait disparu. Sharan ne l'avait jamais rencontrée mais... il y avait quelque chose en elle, quelque chose qui lui dictait de poser cette question, rien que pour rendre hommage à cette jeune fille qui avait su tous les sauver.

Cela faisait longtemps que Sharan n'avait pas ressenti une telle émotion, une telle empathie pour Toriel. Cette étrange femme qui n'était, si on y pensait bien, qu'une étrangère pour elle. Pourtant, Sharan se sentait profondément touchée et attristée pour elle. Perdre ainsi l'amour de sa vie et éprouvé tant de remords de n'avoir pas accompagné quelqu'un que l'on aimait pourtant si profondément... Sharan ne le souhaitait à personne.

Sharan ne savait comment réconforter la jeune femme. Alors que ses propres larmes commençaient à sécher, l'hybride posait un regard ennuyé sur Toriel.

Pendant un instant, alors qu'elle scrutait son regard, Sharan eut l'impression que la femme-chèvre attendait quelque chose d'elle. Une question était gravée dans ses traits, dans son regard... Une question qui semblait troubler Toriel ou, du moins, occuper tout son esprit.

Il se faisait tard. Même si les Ruines semblaient toujours aussi obscures la nuit, Sharan pouvait ressentir la fatigue la gagner, sûrement les larmes et les pleurs n'avaient pas arrangé son état, même si la jeune femme se sentait plus légère.

Avec toutes les émotions qui avait rejaillies ce soir-là, il était peut-être temps pour elles deux de partir se reposer. Mais, l'interrogation profonde qui habitait les yeux de Toriel la retenait et Sharan n'osait bouger.

Finalement, elle prit son courage à deux mains, prenant le risque de paraître ridicule, et ouvrit la bouche:

"Y-a-t-il quelque chose dont... vous voudriez me parler ?"

Sharan n'avait nul part où aller. Elle commençait petit à petit à le réaliser. Jusqu'alors, elle se terrait entre deux rocs dans les Waterfall et attendait que la nuit passe, les yeux perdues dans l'immensité sombre. Quelle vie était donc celle-là. La solitude n'était pas ce qui effrayait Sharan. Non... Ce qui la tourmentait, la tiraillait de toute part, c'était les chimères. Ces souvenirs qui remontaient avec un acide goût de nostalgie et de regrets pour étouffer tout espoir qui tentait en vain de renaître jour après jour.

Elle se remémorait ses parents, sa vie d'avant... Encore et encore. En boule. Sans jamais parvenir à freiner toutes ces tortures qui s'éveillaient les unes après les autres.

Surement l'hybride ne considérait-elle que ses propres intérêts mais... Pouvait-on réellement le reprocher à un être tel qu'elle ? Après tout ce qu'elle avait traversé ?

Sharan resta silencieuse face à l'interrogation de Toriel. Sa proposition tentait Sharan mais elle décida de garder une certaine distance avec tout ceci. Depuis que ces deux parents avaient disparus, Sharan n'était pas très fière de ses fréquentations. Elle traînait dans des recoins sombres, tard. Ses vœux de vengeance ne l'avaient pas toujours menée au devant de personnages des plus recommandables. Et si ces personnes la retrouvaient Toriel ? Pourrait-elle se cacher dans ces Ruines encore et encore ? Le visage de Snaky revint dans l'esprit de Sharan ainsi que cette infâme présence qui l'entourait. Ce Nightmare qui l'accompagnait de partout, qui s'agrippait à elle et surveillait chacun de ses pas. Si l'un d'entre eux décidaient de se soulever contre Sharan, Toriel ne ferait que de s'attirer des ennuis en tentant de l'aider. Ces Ruines paraissaient si paisibles. Sharan ne pouvait les condamner à une telle pression.

Et pourtant, lorsqu'elle ouvrit la bouche pour répondre, Sharan accepta presque de rester aux côtés de la femme-chèvre. Un lapsus qui aurait pu coûter cher aux deux femmes. Elle se reprit:

"Vous avez raison... Je crois que j'aurais bien besoin d'une nuit de repos."

Puis elle rajouta:

"Je repartirais demain matin à la première heure."

Elle ne savait pas comment tourner cette phrase autrement. Comment la rendre moins tranchante envers cette femme qui l'avait accueillit chez elle. Pourrait-elle comprendre que Sharan n'était la meilleure personne ? Elle n'était pas aussi pacifique que Toriel semblait l'être.

Culpabilisant bien plus qu'elle n'osait se l'avouer, Sharan demanda d'une petite voix à la femme-chèvre de lui montrer où est-ce qu'elle pourrait se reposer ce soir et, lorsque Toriel tourna les talons, la suivit d'un pas peu rassuré et toujours aussi lourd qu'à son arrivée.