Par une journée calme... [PV : Spectre]

Cela faisait bien quelques jours que tu n'avais pas eu de clients. De ce fait, tu avais pu consacrer une grande partie de ton temps à tes recherches, mais aussi, et surtout, à ton jardin botanique. Chaque plante avait pu se voir recevoir les soins, l'attention et le temps nécessaire à son bon développement. Et le point sur lequel tu défiais toute concurrence était, bien entendu, le bien être et l'efficacité de tes végétaux. Tu étais bien plus en avance que n'importe qui là-dessus, et tu n'avais jamais reçu de mauvaises critiques. Tu possédais tout, de simple fleuriste à incroyable pharmacienne. Tu possédais tout, du moment qu'il s'agissait de plantes. Tu t'en félicitais même.

Mais alors que tu t'occupais de ta chère aconit tue-loups, tu entendis la petite clochette de la porte de la boutique, signe que quelqu'un venait d'arriver. En quatrième vitesse, tu te redressas, puis te ruas vers la boutique, attrapant un chiffon au passage, pour t'essuyer les mains. Et ce fut ainsi que la botaniste, Ariane, se présenta, calme, posée, avec un léger sourire, un air rassurant et un regard plein d'écoute, devant son client potentiel. Tu rangeas le tissu dans ton comptoir, puis tu t'adressas à la personne :

« Bonjour, que puis-je faire pour vous, monsieur ? »

En même temps que ces mots, ton regard vint croiser celui de ton interlocuteur, signalant une attention sans faille, comme si tu étais prête à bondir sur ce qu'il demandait... Comme si tu t'ennuyais... Ce qui n'était pas tout à fait faux. Mais ton regard, bien loin de ce que l'on pouvait voir, procédait à une étude approfondie de cette personne : âge, sexe, race, mode -peut-être-, personnalité, tu tentais de tout savoir, et les informations ne tardèrent pas à affluer vers ton petit cerveau de génie, déjà bien rempli.

Ton client t'avoua ne pas s'y connaître en botanique, ce qui manqua de peu de faire flancher ton sourire commercial, mais rien n'arriva, tu restas souriante. La curiosité l'avait poussé à venir, ce qui te fis prendre une légère expression de surprise. Tu attendis quelques secondes, avant de te détendre puis, griffonnant sur une feuille derrière ton comptoir, tu répondis simplement :

« Je ne savais pas qu'un client pouvait venir par simple "curiosité"... Merci de votre sincérité, monsieur. »

Une fois ton écrit terminé, tu te redressas et dévisagea l'hybride. Puis, décalant légèrement les yeux, tu contournas le comptoir, détendue, avant de te présenter devant le curieux.

« D'ordinaire, les clients viennent pour des décoctions de ma part, des plantes aux propriétés étonnantes ou ne me voient que comme une simple fleuriste. Chacun ayant son point de vue, je deviens ce qu'ils attendent de moi. Mais en ce qui vous concerne, puisque la curiosité vous a mené là, je n'aurais pas de rôle défini, si ce n'est guide ou conseillère. Tout dépend de ce dont vous avez besoin, et si vous désirez acheter, bien entendu. »

Tu attendis quelques secondes, histoire de ne pas avoir l'air de parler toute seule ou de parasiter l'air, puis tu continuas, d'une voix un peu plus posée, plus informelle, plus naturelle.

« Je vous propose de faire le tour de mes produits, pour avoir un petit aperçu de ce qui peut vous être utile. A moins que vous ayez une idée en tête, déjà...? »

Tu pus voir que le client jetait des regards un peu partout, signe que même s’il ne s’y connaissait pas, il s’y intéressait, au moins. Il signala qu’il voulait bien faire le tour, tout en complimentant les lieux et les plantes. En silence, donc, tu commenças à faire le tour, t’arrêtant sur une première étagère, d’où des plantes semblaient laisser pendre leur feuillage garni. Tu pris une petite inspiration, avant de parler :

« Je possède beaucoup de plantes différentes, en fonction de leur lieu de prédilection, leurs propriétés ou leur apparence. Les trois tris sont bien entendu fait d’une certaine manière… Mais cela ne sert pas au client. »

Tu ne présentas cependant pas les plantes, te contentant de réfléchir à comment tu allais t’y prendre. Ce fut à cet instant que l’hybride t’avoua ses préférences. Des plantes obscures. Tu réfléchis longuement avant de répondre :

« A part les champignons et certaines mousses, je n’ai pas trop d’idées… Quoique… Tout dépend de leur milieu. Je peux vous proposer… »

Tu te hâtas de te diriger vers le fond de la boutique, entre les plantes envahissantes, presque. Puis, arrivée là-bas, tu écartas quelques feuilles trop grandes, puis tu dévoilas une petite étagère, de laquelle tu retiras quelques pots, avant de les poser sur une partie du comptoir, tu désignas ensuite la première plante, puis tu parlas, à nouveau :

« Je peux vous proposer un plant d’Aspidistra… Il ne fait pas de fleurs et qui peut atteindre soixante centimètres de haut… Je vous avoue que l’entretien est facile et son besoin en eau est modéré. Sinon, je peux vous proposer un Fuchsia. Bien qu’il puisse atteindre les deux mètres, il peut très bien vivre plus petit. Mais celui-ci, il faut le tailler et en prendre un peu plus soin… L’avantage, du coup, c’est qu’il possède des fleurs de couleur différentes en fonction du plant. »

Tu désignas le pot contenant un petit arbuste qui formait de petites fleurs rouges. Puis, tu donnas ton attention à une autre plante, une pousse semblable à l’herbe dans la forme, mais dont les feuilles, larges et fines, possédaient des dégradés de couleurs.

« Le Chlorophytum ne dépasse pas les soixante centimètres de haut et, contrairement aux plantes d’avant, il peut vivre dans une obscurité un peu plus conséquente. Il produit des fleurs blanches, mais je crains que nous n’en ayons pas encore… Il suffit juste de l’arroser de temps à autres. De même pour le Muguet, juste à côté, qui ne demande que beaucoup d’eau. Si vous avez de la chance, certains peuvent faire des fleurs roses. Mais le Muguet demande un peu plus de lumière. »

Tu attendis un instant puis, tu t’approchas de la dernière plante, la moins gracieuse, mais la plus connue. Tu arrangeas un peu ses feuilles, avant de la présenter.

« Le Lierre est un des plus simples à s’occuper. Il pousse partout, produit des petites fleurs, mais nécessite une surface pour y grimper. Il pousse ainsi. Peu d’eau, peu d’entretien, si ce n’est couper les branches qui ne vous intéresse pas, ou sinon, vous serez vite envahi. Je pense avoir encore toutes ces plantes en réserve, si vous désirez en acheter une… Ou même en réserver une, et repasser la chercher lorsque vous aurez le temps. »

Lorsque tu présentas les plantes à ce cher client, ce dernier eut l’air un peu déçu. Tu avais bien des plantes existantes ici, sauvages même, à la surface, des choses connues, des choses banales. Tu avais d’autres choses, mais tu n’aimais pas les montrer, car elles étaient le patrimoine de ton île, une partie de toi, en somme. Son regard navigua entre deux de tes plantes, mais il semblait hésiter. Ses paroles vinrent appuyer cette impression, puisqu’il te demanda si tu possédais autre chose. Tu soupiras longuement avant de regarder autour de toi. Tu finis par sortir un carnet avec des photographies sur quelques pages puis, feuilletant un moment, puis tu montras deux pages.

« Je possède encore ces deux plantes. Il en existe une troisième, mais je ne préfère pas la confier à n’importe qui. La première, rose, s’appelle, dans votre langue, le « Croque-Insecte ». Ce n’est pas une plante carnivore, mais elle y ressemble. Elle n’existe que dans cette couleur, et peut parfois se mettre à bouger. L’autre, c’est la « Brise-roche » du désert. Il en existe deux types. L’épineuse et la toilée. Ici, on voit la toilée, mais celle que je propose n’a pas ces sortes de fils entre les tiges, mais des petites épines en quinconce à la place, de la base jusqu’aux feuilles. Cette plante a une fleur à son sommet uniquement, composée de quatre pétales bleu. Les sortes de billes au centre sont les fruits de cette plantes et sont malheureusement toxiques. »

Tu montras donc les photographies à ton client, en espérant un peu qu’il se décourage. Tu laissas le carnet sur le comptoir, avant de commencer à ranger les plantes qui n’avaient pas été source de bonheur, ne laissant que le lierre et le fuchsia. Puis, en attendant une réponse, tu arrangeas encore un peu le lierre, en espérant que les feuilles retirées puissent rafraichir un peu le végétal.

HRP:

Contrairement à ce que tu espérais, les photographies laissèrent sans voix ton client, visiblement intéressé. Pendant qu'il hésitait, tu enroulas machinalement ton index autour d'une de tes mèches de cheveux, nerveuse, tandis que ton autre bras était contre tes côtes, servant de soutient à ton autre bras. Puis, enfin, lorsqu'il parla, tu arrêtas ton tic, le fixant dans les yeux. Devant sa question, tu lâchas un long soupir, avant de lui répondre :

« Ces plantes proviennent de mon île natale. C'est un héritage que je n'aime pas présenter aux clients. Ce ne sont pas les seuls plants, loin de là, mais je les préserve comme mes enfants. Chaque plant que je pourrais potentiellement vendre sont modifiés de manière à ce qu'ils ne puissent jamais faire d'autres pousses. C'est un procédé nécessaire que je n'apprécie guère. Mais qui est nécessaire. En tout cas soyez sûrs que ce que vous voyez ici, vous ne le trouverez nul part ailleurs. Mais... »

Tu soupiras longuement avant d'observer ces photos, qui te rappelaient tant de souvenirs. Le mont escarpé... La neige grisâtre, la rivière cramoisie... Chaque image semblait te revenir en tête comme si tu étais, et leurs plantes aussi. Finalement, tu relevas légèrement les yeux, avant de continuer :

« Mais je ne les propose qu'en cas désespéré. Elles sont très fragiles et le voyage ne les a pas arrangées. Si vous en possédez une, sachez qu'elle demandera bien plus d'attention que les autres, et leur environnement ne doit pas changer. C'est pour ça que je les vends en graines, déjà plantées. Je ne cherche pas le profit. Pas avec ça. Pour vous, les plantes ne sont que des ... Plantes. Chez nous, chez moi, ce sont des êtres vivants à part entière. Ils possèdent une âme, un esprit... Ils vivent, ressentent les choses. Chaque émotion que vous lui montrerait la changera psychologiquement. Et je n'aime pas l'idée qu'elles puissent souffrir. »

Tu regardas à nouveaux les photographies, puis les plantes que tu avais laissé sur le comptoir. Un regard s'adressa à l'extérieur mais, visiblement, tu n'avais pas d'autres clients. Tu regardas à nouveau l’indécis, attendant une réponse, un choix.

Comme tu t'y attendais, ton client avait du mal à imaginer que ces plantes puissent ressentir des émotions. Même s'il n'avait rien dit, son regard en disait long. Son regard naviguait entre les photographies et ton visage, tandis que le silence s'installait. Tu le fixais sans jamais détourner le regard, comme voulant t'imposer dans son esprit. Puis, finalement, dans un raclement de gorge, il finit par parler. Tu n'attendis pas pour lui répondre, d'un ton froid et sérieux :

« On en apprend tous les jours. Surtout quand on ne connait rien au domaine d'un autre. »

Tu laissas à nouveau le silence s'installer, fixant la personne qui était en train d'hésiter. Tu adressas un regard vers l'extérieur, visiblement, c'était calme aujourd'hui, et il n'y avait pas beaucoup de passants. Tu reportas ton regard sur ton client lorsque ce dernier parla à nouveau, mais tes yeux furent beaucoup plus froid qu'avant, puis tu finis par répondre, après un silence sans le quitter des yeux :

« Je ne vous en confierai pas. »

Tu récupéras ton carnet puis le fera d'un ton sec, avant de le ranger derrière le comptoir, à nouveau. Tu regardas ton client, droit dans les yeux, avant de regarder les deux plantes restées là, puis tu continuas, avec un sourire commercial froid, un ton neutre :

« Reprenons où nous en étions. Désirez-vous acheter une plante ? J'ai cru entendre que vous étiez intéressé exclusivement par un plant de Fuchsia ou de Lierre. Est-ce toujours le cas ? »